La laïcité incomprise par les jeunes ?

Au sein de la jeune génération, trois quarts des personnes considèrent qu’il faudrait « respecter les religions afin de ne pas offenser les croyants ». Un tiers d’entre eux pense que les normes et règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République. Par ailleurs, un lycéen sur deux soutient le port de signes religieux à l’école pourtant interdit depuis la loi de 2004.

La laïcité est d’abord une séparation entre l’Église et l’État. Cette séparation entraîne ce que l’on appelle la neutralité de l’État. Celle-ci signifie que la France ne reconnaît aucun culte, ce qui n’est pas négligeable puisque de ce principe découle non seulement l’interdiction pour l’État de subventionner les cultes, mais aussi l’égalité de tous, croyants comme non-croyants, devant les lois de la République. Pour l’exprimer autrement, la laïcité ne consiste pas à bouter l’Église hors du village. Elle veille simplement à ne plus la placer de celui-ci.

La laïcité c’est ensuite la liberté de conscience. C’est-à-dire la possibilité pour chacun de croire ou de ne pas croire en ce qu’il veut. De changer de religion, de s’affranchir de tous les dogmes et de toutes les doctrines religieuses. Il s’agit probablement de l’arme la plus redoutable contre les autoritarismes qui rêvent de sociétés homogènes et monolithiques. La liberté de conscience c’est au contraire l’éloge même du désaccord en ce qu’elle est le centre intime du for intérieur individuel. Elle instaure une sorte de paix des ménages permettant de ne pas hiérarchiser les croyances ni d’en préférer une au détriment des autres. C’est grâce à la laïcité qu’il y a toujours une Église dans chaque village, même s’il n’y a plus aucune religion d’État. C’est aussi grâce à elle que les temples protestants et bouddhistes existent, c’est toujours grâce à elle que les synagogues sont protégées du fléau antisémite et c’est enfin toujours grâce à elle que les musulmans ont pu ériger en moins d’un siècle les 2600 mosquées présentes dans l’Hexagone.

Les plus farouches opposants à la laïcité aujourd’hui sont néanmoins ceux qui confondent absolutisme de la conscience de tous et tyrannie de la liberté de culte de chacun.

Or si la liberté de conscience est, en France, bien absolue, la liberté de culte qui en découle est, à l’instar de la liberté d’expression, limitée par le respect de l’ordre public et si l’État ne reconnaît aucun culte en France, il n’en ignore cependant aucun.

La laïcité dans les faits

Un individu peut, en son for intérieur et en vertu de ses croyances, être convaincu que la femme est inférieure à l’homme. Là est la liberté de conscience absolue, l’État ne viendra jamais sonder son cœur, contrôler son esprit ni sanctionner ce qu’il se joue dans les profondeurs de ses croyances quand bien même cette pensée intime serait-elle détestable. Néanmoins, en ce que par la manifestation publique de cette croyance, ce même individu pourrait porter atteinte à l’ordre public, c’est-à-dire ici la possibilité même de nous maintenir en tant que société, celle-ci pourra être limitée. Là est la liberté de culte limitée par la liberté des autres.

Le concept même de laïcité s’étend cependant encore au-delà des considérations juridiques. La laïcité n’est pas seulement le fait de quelques textes, elle est un état d’esprit, une culture, une philosophie, voire l’une des pierres angulaires de notre civilisation moderne. Elle est en somme le cœur battant de notre projet de société. Elle ne peut se résumer en quelques dispositions de droit dont on pourrait débattre comme de n’importe quel autre fait sociétal.

La laïcité n’est pas une opinion en elle-même, car elle constitue la possibilité même d’en avoir une. L’on ne peut se dire laïque ou non laïque puisque le simple fait de pouvoir exprimer cette pensée revient déjà à l’être. La laïcité n’est pas une idée, elle est celle qui les autorise toutes. La laïcité est devenue aujourd’hui une sorte de valeur adoptée inconsciemment y compris par ses plus grands pourfendeurs. C’est parce que la laïcité garantit le respect des convictions qu’un intégriste catholique, un juif orthodoxe ou un musulman rigoriste peuvent se dire opposés à la laïcité. Là que réside l’ingéniosité, la générosité et la magie de cette idée magnifique, souvent incomprise.